Le droit d’être différent

La Côte d’Ivoire peut-elle devenir un havre de paix pour les communautés LGBTQI+ en Afrique de l’Ouest?

Photo by Tim Bieler on Unsplash

Dans le documentaire Woubi Chéri, le premier documentaire sur la vie des hommes gays et des femmes trans en Côte d’Ivoire, Barbara, une militante trans, s’exclame: “C’est notre droit d’être différents. Sans ce droit à la différence, L’Afrique n’ira nulle part. Dans l’argot Ivoirien, un woubi est un homme qui aime les hommes  et qui “joue le rôle de la femme”.

Les populations LGBTQI+ ont toujours existé en Côte d’Ivoire, avec  plus ou moins de visibilité. Les lois ivoiriennes ne criminalisent pas l’homosexualité ou les relations avec des personnes du même sexe.  Cependant, elle n’offre aucune protection légale pour les personnes LGBTQI+ et ne permet pas aux personnes trans de transitionner légalement. La Côte d’Ivoire est renommée pour son tourisme et est l’un des pays les plus visités d’Afrique de l’Ouest (avant la COVID-19 le pays accueillait 2 millions de touristes par an) et a donc cultivé la réputation d’être un pays “accueillant”. Comme toutes  les réputations, il y a du vrai et du faux. En l’espèce, en Afrique de l’ouest, est ce que la Côte d’Ivoire est l’un des  pays les plus “accueillant pour les personnes LGBTQI+” ? Deux éléments peuvent aller dans ce sens: 1) le fait que le pays ne criminalise pas les relations avec personnes du même sexe et 2) la position unique que le pays a dans la région d’un point de vue touristique.

La fin des années 1990 a apporté une nouvelle visibilité pour les personnes LGBTQI+ en Afrique de l’ouest. En 1997, est sorti Dakan réalisé par Mohamed Camara, le premier film africain de l’ouest qui dépeint une relation amoureuse entre deux hommes (et en particulier en Guinée). Pareil j’aurais changé la phrase. L’année suivante, en 1998, Laurent Bocahut et Philip Brooks ont sorti le documentaire Woubi Chéri, un des premiers documantaires qui met  en lumière  les personnes LGBTQI+ vivant en Côte d’Ivoire.

Le film suit plusieurs personnes. L’un d’entre elles est Barbara, qui a crée l’Association des travesties de Côte d’Ivoire (ATCI). Barbara décide d’organiser le premier concours Miss Woubi pour célébrer les plus jolies femmes trans (le concours existe toujours). 

A ce jour, il y a plus de 30 associations LGBTQI+ en Côte d’Ivoire, comme Alternative Côte d’Ivoire, Lesbians Life Association Côte d’Ivoire (LLACI) et Woman African Freedom (WAF). De nombreuses initiatives internationales existent entre elles pour promouvoir et soutenir les personnes LGBTQI+ en Afrique de l’Ouest. A titre d’exemple, Alternative Côte d’Ivoire, QET Inclusion, Transgenres et Droits hont travaillé avec des associations aux Benin et Togo.

Pour deux militant.e.s ivoirienn.e.s Carlos Toh Zwakhala Idibouo and Maylis Djikalou, la situation s’est amélioré pour les personnes LGBTQI+ en Côte d’Ivoire et il y a eu de nombreuses occasions ou des personnes LGBTQI+ ont trouvé refuge dans le pays, mais il reste énormémement de travail à faire.  

Carlos Toh Zwakhala est militant AfroQueer du genre non conforme pour la reconnaissance et protection des droits des personnes LGBTIQ+. 

Maylis Djikalou aime déclencher des changements sociaux et est passioné.e par le storytelling et l’inclusion.

Pour Carlos, l’histoire des populations LGBTQI+ people en Côte d’Ivoire est complexe et peut être divisées en deux parties: “la mobilisation de la communauté des transgenres qu’on appelait à l’époque les travesties. Elles s’étaient regroupées en une association qui s’appelait l’association des travesties de Côte d’Ivoire (ATCI). Leur objectif principal était de s’apporter du soutien mutuel en matière de santé étant donné que le VIH/SIDA battait son plein dans les années 90.” 

Cependant Carlos ajoute qu’après le succès de Woubi chéri, il y a eu un essouflement: “le 5 juillet 2003, avec deux amis nous avons créé Arc-en-ciel Plus qui deviendra la première association LGBT+ officiellement enregistrée. L’objectif était de faire du plaidoyer auprès du gouvernement pour la reconnaissance de la communauté, surtout pour la prise en charge des hommes gais qui mouraient en grand nombre à cause du VIH/SIDA.”

Les solidarités transnationales entre les associations LGBTQI+ organisations et les différentes communautés existent depuis longtemps. Les associations travaillent avec d’autres basées dans la région sur des sujets comme l’accès au soin ou l’hormonothérapie chez les personnes transgenres qui ont du mal à avoir accès aux hormones dans les lieux de santé.

Maylis mentionne que “il y a des personnes LGBTQI+ étrangères venant du Nigeria, Ghana, Maroc, Tunisie ici pour travailler et leur profession leur accorde  un certain privilège. Ce sont des pays qui ont des liens financiers et culturels assez forts avec nous. En Côte d’Ivoire, si vous avez de l’argent et que vous vivez votre vie “discrètement” ils est possible que l’on se sente plus en sécurité. Il y a de l’homophobie et de la transphobie bien sur, mais aussi un peu de sécurité. En tout et pour tout, l’hypervigilence est toujours requise.” 

En ce qui concerne les lieux de rencontre, il y a des endroits, des quartiers ou l’on sait qu’ils sont fréquentés par des “woubis”, et aussi des femmes trans.Pour Maylis, la question de classe est un des facteurs les plus déterminant pour savoir si une personne LGBTQI+ sortira du placard ou non. “La Côte d’Ivoire est à la fois un grand et un petit pays. On sait qui est qui, c’est une société stratifiée. Quand vous avez plus de privilèges, vous pouvez être vous même à cause de la liberté que l’argent apporte. Mais cette liberté peut vous faire apparaitre comme étant plus occidental, moins lié à votre communauté d’origine. Et votre identité peut être questioée êtes vous LGBTQI+parce que vous avez été exposé.e à d’autres cultures?”

Bien qu’il y a une certaine reconnaissance des personnes LGBTQI+ qui sont potentiellement perçu.e.s comme étant plus acceptées parce qu’elles sont une partie intégrale de la culture, ils font face à de nombreux obstacles. 

Le principal étant les réactions familiales lors du coming out et les pressions qui en découlent. Dans un pays ou avoir des enfants est vu comme la seule manière pour la communautés de se reproduire et transmettre leur valeures, leur patrimoines, les personnes LGBTQI+ font face à une pression immense pour avoir des enfants en premier avant de sortir du placard.

D’un point de vue politique, l’assemblée nationale ivoirenne a récemment voté à l’unanimité contre l’inclusiondes personnes LGBTQI+ dans une loi contre les discriminations (Source: Situation des personnes LGBT en Côte d’Ivoire, 2023). En Côte d’Ivoire il y a deux groupes religieux principaux: les chrétiens et les musulmans avec une petite minorité qui pratiquent les religions animistes. Certains leaders religieux regulièrement attaquent les personnes LGBTQ+ dans leurs discours. Cependant une association existe, l’Alliance des religieux pour la santé intégrale et la promotion de la personne humaine en Côte d’Ivoire (ARSIP), qui promeut la protection des droits humains pour tous et cela inclut les droits des personnes , LGBTQI+. Ils organisent des sessions de mediations avec d’autres religieux sur ces sujets. 

Est ce que la Côte d’Ivoire pourrait devenir un havre de paix pour les personnes LGBTQI+ en Afrique de l’ouest? D’un côté, il semblerait que ce soit le pays le plus à même d’un jour occuper cette position. De l’autre, il y a tant d’efforts qui restent à faire.

Pour Maylis, il faut avoir une certaine prudence: “Je pense que juste parce qu’aucune loi ne criminalise les vies des personnes queers, il ne faut pas prendre notre status pour acquis. 2025 est une année d’élection et les enjeux sont importants. Les choses pourraient aller dans une direction ou dans un autre en fonction du parti qui sera élu.Je pense aussi qu’il sera bien d’avoir des études officielles sur les personnes LGBTQI+ et avoir aussi les opinions des personnes cis hétéros également.”

Carlos ne cache pas que le niveau de travail et d’effort requis est herculéen: “Les gens sont encore très attachés à leur religion. Les mouvements anti-genres sont aussi présents ici. Il faut agir sur plusieurs fronts pour deconstruire les préjugés au niveau institutionnel aussi. Les partenaires avec lesquels nous travaillons pensent connaître très bien les personnes LGBTIQ+. Or ce n’est pas du tout le cas. Ils s’érigent en experts sur nos enjeux et tiennent souvent des discours contradictoires. 

Chaque fois qu’un pays voisin met en place des lois criminalisant les relations entre personnes de même sexe, cela crée aussi une psychose en Côte d’Ivoire. Comme c’est le cas au Ghana par exemple. 

Beaucoup de personnes transgenres vivent dans l’extrême précarité sans logement fixe. La majorité survit grâce au travail du sexe. D’où le pourcentage très élevé de la seroprevalence au VIH chez les jeunes LGBTIQ+, surtout les personnes transgenres.”

Pour Carlos, plusieurs élément doivent être mis en place pour que le pays deviennent un havre de pays pour les communautés LGBTQI+:

“Quand le gouvernement, en premier lieu, votera une loi protégeant les droits des personnes LGBTQI+, reconnaitra les identités de genre des personnes trans qui apparaîtront sur leurs papiers. Les personnes LGBTQI+ ne feront pas face à des refus constants quand iels cherchent du travail, les propriétaires n’auront pas le droit de les chasser de leurs logements les locataires en raison de leur orientation sexuelle ou de genre. Ces changements, je l’espère, pourront contribuer les changemenrts sociaux requis – et en particulier, inciter les forces de l’ordre à protéger tous les citoyens sans discriminations, et les faire parents de chasser leurs enfants de leur maisons ce qui les force à se tourner vers le travail du sex et augmente le risque de contracter le VIH.  En ce moment-là, nous pourrions parler d’un futur radieux pour les personnes LGBTIQ+ en Côte d’Ivoire et partout en Afrique.” conclut Idibuo.

Il est indéniable qu’il y a eu de nombreuses initiatives et mouvements destiné à amélioré les vies des personnes LGBTQI+ en Côte d’Ivoire ces dernières décénies. Comparé aux pays voisins, le status quo qui a été maintenu indique que les communautés queer sont dans une situation plus avantageuses, simplement parce que rien n’est fait pour rendre leur vie plus difficile. Cependant, il est important de souligné qu’un travail massif reste à faire pour que la  Côté d’Ivoire, passe d’une terre d’accueil à un pays ou les droits des personnes LGBTQI+ sont protégés. Les communautés Queer méritent de prosperér, dans un monde idéal, la Côte d’Ivoire peut être un pays pionnier qui apportera ce changement en Afrique de l’ouest.

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