Des OGM pour l’Afrique?

Plutôt que de pallier l’insécurité alimentaire, les cultures génétiquement modifiées risquent de rendre les agriculteurs et les scientifiques africains plus, et non moins, dépendants des marchés mondiaux.

Kabaune village (Giaki), Kenya. Image credit CGIAR Climate via Flickr CC.

Alors que la COVID-19 continue de mettre à nu les déficiences du système alimentaire mondial, il urge, plus jamais, d’imaginer de nouveaux futurs alimentaires. Récemment, certains ont suggéré que les semences génétiquement modifiées pour inclure la résistance aux parasites, à la sécheresse et aux herbicides (OGM) offrent aux pays africains un moyen de devenir plus autosuffisants en matière de production alimentaire et les rendre moins dépendants des chaînes alimentaires mondiales. Nous partageons certainement le désir de construire des systèmes alimentaires plus justes. Cependant, l’histoire nous enseigne que les cultures génétiquement modifiées (OGM) pourraient en fait rendre les agriculteurs et scientifiques africains plus, et non moins, dépendants des acteurs et des marchés mondiaux.

Dans un article que nous avons récemment publié dans le journal African Affairs, nous retraçons un historique de près de 30 ans de collaborations entre l’industrie agro-alimentaire, les agences gouvernementales américaines, les organisations philanthropiques et les conseils de recherche africains pour développer des OGM pour les agriculteurs africains. Nous avons constaté que ces alliances, bien qu’elles soient impressionnantes, n’ont jusqu’à présent permis qu’à très peu d’OGM d’atteindre les agriculteurs et les marchés africains. Pourquoi, demandons-nous, les efforts déployés pour introduire les OGM en Afrique ont-ils donné si peu de résultats probants?

Une des raisons, bien sûr, est l’activisme et les mouvements sociaux. La méfiance généralisée à l’égard de cette technologie et de ses concepteurs a animé des mouvements sociaux locaux et transnationaux qui ont soulevé d’importantes questions sur la propriété, le contrôle et la sécurité des cultures génétiquement modifiées. Mais une autre question a trait au caractère complexe des partenariats public-privé (PPP) que les donateurs ont créés pour développer les cultures génétiquement modifiées sur le continent. Depuis 1991, en commençant par un partenariat entre l’Agence américaine pour le développement international (USAID), l’Institut kenyan de recherche agricole et Monsanto pour développer une patate douce résistante aux virus (qui ne s’est jamais matérialisée), les PPP sont devenus une caractéristique des efforts d’introduction des OGM en Afrique. Cela est principalement dû à deux raisons. La première est que la technologie des OGM est en grande partie détenue et brevetée par une poignée de sociétés multinationales, et qu’elle est donc inaccessible aux scientifiques africains et aux petites et moyennes entreprises semencières africaines sans un accord de partenariat. La seconde est que les donateurs et les sociétés de biotechnologie agricole pensent que le partenariat avec les scientifiques africains contribuera à dissiper la méfiance du public à l’égard de leur implication et à créer au contraire une image publique de bonne volonté et de collaboration. Cependant, nous avons constaté que cette multiplicité de partenaires a créé d’importants obstacles à l’intégration des OGM dans l’agriculture sur le continent africain.

Prenons le cas du Ghana, par exemple. Au milieu des années 2000, le gouvernement ghanéen a lancé un programme ambitieux pour devenir un leader régional en matière de biotechnologie. Alors que le Burkina Faso cultivait déjà du coton génétiquement modifié depuis des années, le Ghana voulait être le premier pays d’Afrique de l’Ouest à produire des cultures alimentaires génétiquement modifiées. En 2013, les autorités ghanéennes ont donc approuvé la réalisation d’essais de six cultures génétiquement modifiées, dont la patate douce, le riz, le niébé et le coton, dans les instituts scientifiques du pays.

Cependant, ce projet s’est rapidement heurté à des difficultés. Le financement du projet sur la patate douce s’est épuisé peu après son lancement. Entre-temps, la recherche sur le coton a été mise en veilleuse pour une durée indéterminée en 2016, après que Monsanto, qui fournissait à la fois les fonds et les semences de coton Bt, se soit retiré de son partenariat avec le conseil scientifique d’État ghanéen. Expliquant cette décision, un responsable de Monsanto a déclaré que sans une loi sur les droits de propriété intellectuelle en place – une loi qui a été débattue au parlement ghanéen et à laquelle les militants activistes ghanéens se sont opposés depuis 2013 – la firme ne pouvait pas voir « le bout du tunnel. »

Monsanto était également impliqué dans des cas judiciaires au Burkina Faso, où son coton Bt avait commencé à produire des résultats de qualité inférieure. Pendant ce temps, des chercheurs ghanéens travaillant sur deux variétés de riz génétiquement modifié ont vu l’USAID réduire leur financement. Ils se sont retrouvés donc avec des ressources insuffisantes, ce qui a obligé l’équipe à suspendre l’un des projets. Le report du projet sur le coton et de l’un des projets sur le riz a porté un coup dur aux scientifiques ghanéens qui n’étaient plus qu’à un ou deux ans de la finalisation de leurs recherches.

À bien des égards, les difficultés présentées ici, tant du Ghana que du Burkina Faso, suggèrent que les efforts visant à introduire la biotechnologie agricole en Afrique sont un château de cartes : des partenariats qui, vus de l’extérieur, semblent solides et impressionnants, comprenant des collaborations entre certains des plus grands philanthropes et acteurs industriels du monde. Mais en fait, ces partenariats sont très instables. Qu’en est-il de la situation des autres pays africains?

Le Nigeria et le Kenya ont récemment fait la une des journaux pour leur approbation des cultures génétiquement modifiées. Les nouvelles en provenance du Nigeria sont particulièrement impressionnantes, où les autorités ont récemment approuvé une vague de demandes d’OGM, notamment pour le coton Bt et le niébé Bt, devançant ainsi le Ghana pour autoriser la première culture alimentaire génétiquement modifiée en Afrique de l’Ouest. Le Kenya a également approuvé la production commerciale de coton Bt, un exploit impressionnant si l’on considère que le pays a techniquement interdit les OGM depuis 2011. Ces deux pays, qui se sont tournés vers une filiale de Monsanto basée en Inde pour leur approvisionnement en semences génétiquement modifiées, espèrent que le coton Bt contribuera à revitaliser leur secteur cotonnier en difficulté. Si les partisans de la biotechnologie ont applaudi les efforts du Nigeria et du Kenya, il faudra néanmoins attendre plusieurs saisons de culture et des recherches plus empiriques pour savoir ce qui adviendra de ces projets.

Comme le montrent les cas décrits ici, le passage des OGM du laboratoire au champ de cultures n’est pas simplement une question de bonne volonté ou de découverte scientifique ; il dépend plutôt d’une multitude de facteurs, dont le soutien des donateurs, les partenariats industriels, les résultats de la recherche, le changement de politique et l’acceptation par la société. Cette chorégraphie complexe, nous croyons, est inscrite dans l’ADN de la plupart des projets de biotechnologie en Afrique, et est souvent ignorée par les partisans de la technologie qui ont tendance à offrir des récits linéaires sur le potentiel de la biotechnologie pour accroître les rendements et la protection contre les parasites et les maladies. C’est pourquoi nous suggérons la nécessité de faire preuve de prudence, non pas parce que nous souhaitons voir la technologie échouer, mais plutôt parce que nous restons appréhensifs sur les collaborations de plusieurs millions de dollars qui semblent privilégier les préoccupations des donateurs et de l’industrie par rapport à celles des scientifiques et des agriculteurs africains.

La notion de partenariat public-privé peut sembler bonne, mais elle ne peut pas dissiper les intérêts sous-jacents des parties participantes ni l’histoire et la mémoire collective des efforts précédents pour « améliorer » l’agriculture africaine.

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